À Eloka-Mbatto Bouaké, les populations attendent toujours
Bruno Koné, le ministre ivoirien de la Construction est rattrapé par la réalité qu’il voulait masquer : accusé de fraude foncière, il nie tout en bloc, mais les victimes dévoilent un système où la spoliation prospère derrière ses réformes numériques.
Abidjan, le 30 juin 2025 (crocinfos.net)---Il voulait balayer les accusations d’un revers de la main. Il voulait convaincre la Nation que tout est sous contrôle. Mais à force de vouloir maîtriser la narration, le ministre de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme, Bruno Nabagné Koné, s’est retrouvé pris dans le feu de sa propre communication, confronté à la réalité implacable du terrain.
Depuis Bouaké, à l’occasion du lancement de la troisième étape de la Caravane de l’Agence de Développement Urbain (ADU), il s’est voulu ferme et rassurant face aux attaques du député Tiémoko Antoine Assalé, qui l’accuse d’être au cœur d’un vaste système de fraude foncière. « Je suis le premier responsable de ce ministère. Et je ne peux pas accepter qu’on salisse l’honneur de plus de 3 000 agents qui travaillent chaque jour avec engagement et dignité », a-t-il martelé, d’un ton grave.
Pour lui, ces accusations sont « injustes et généralisatrices ». Il clame que son ministère est un rempart contre la fraude : « Celui qui voudrait frauder mettrait en place un système opaque. Nous avons fait exactement l’inverse : nous avons ouvert les portes à la transparence, aux contrôles croisés, à la traçabilité. »
Le ver est dans le fruit
Mais ces mots sonnent creux face aux témoignages poignants qui affluent de toutes parts. Car derrière le vernis de la numérisation et des réformes vantées, les victimes racontent une tout autre histoire, celle d’un système foncier gangréné où l’injustice se mue en politique de gestion.
Koné Bruno, ministre de la Construction, du Logement et de l'Urbanisme (MCLU) le vendredi 27 Juin 2025, sur le boulevard du carnaval en compagnie de Amadou Koné, ministre-maire , la 4e édition de sa caravane couplée aux journées d'informations et de réclamations, dans la commune de Bouaké.
Dans un commentaire sur Facebook, Arnaud Endurans Bakpa est catégorique : « Un lot avec deux titres fonciers attribués par le ministère, un autre ACD au nom d’un individu inexistant dans le Guide foncier, un propriétaire terrien qui dépose sa demande en 2019 mais voit son dossier bloqué au profit d’un autre ayant déposé en 2020… » La liste est longue et choquante. Il ajoute, amer : « J’ai de nombreux cas similaires où il suffit d’avoir un nom inscrit à l’état civil, et le reste est fait à l’insu des vrais propriétaires. Je mets le ministre au défi devant la Nation pour une confrontation directe. »
À Anono Palmeraie, le scandale est identique : des lettres d’attribution antidatées, des compulsoires établis sans la moindre pièce d’identité du cédant, et des bénéficiaires qui obtiennent des ACD comme on distribue des tickets de loto. Et pendant que le ministre parle d’intégrité, la réalité continue de broyer les vies.
« Si ses paroles étaient vraies, qu’il porte plainte »
Pour Yapi Michel Aymard, il est temps d’aller au fond des choses : « S’il se sent diffamé par le député Tiémoko Antoine Assalé, qu’il porte plainte contre lui. Jusqu’à présent, de nombreuses personnes attendent toujours la restitution de leur terrain, sans qu’aucune lumière n’ait été faite. »
Même Lolo Diby, qui reconnaît à Bruno Koné d’avoir apporté une valeur ajoutée au ministère, n’y croit pas totalement : « Je ne partage pas votre avis lorsque vous affirmez que l’intégralité des 3 000 agents travaillent avec engagement et dignité. Je suis une de leurs victimes et j’ai des preuves. »
« Celui qui a le micro a toujours raison »
Mais pour Armand Blé, les discours ne suffisent plus. Seul un audit indépendant pourra restaurer la confiance : « Celui qui a le micro a toujours raison. Un audit rassurerait tout le monde. » Il cite le cas de Songon, où IGEOBAT, détenteur d’un ACD depuis 2019, se voit contester son terrain par un nouvel arrêté ministériel de 2020. Malgré le paiement régulier des impôts, les acquéreurs n’ont toujours pas accès à leur site, pendant que d’autres s’y installent en toute impunité.
Palmafrique : un autre brasier foncier
Et pendant que le ministre s’enferme dans sa communication, d’autres foyers de colère s’allument. À Eloka-Mbatto Bouaké, après des mois de négociations stériles, les populations ont décidé de passer à l’offensive. Jeudi 26 juin 2025, elles ont organisé un sit-in sur le site de Palmafrique pour exiger le départ immédiat de l’entreprise.
« Palmafrique, quittez nos terres au lieu de chercher à en être propriétaires ! », « Papa Ado, aide-nous à récupérer nos terres ! », scandaient-ils, brandissant des pancartes. Dans leur motion, ils réclament la restitution immédiate de leurs terres coutumières, l’annulation des courriers d’affectation émis sans leur consultation, la réparation des préjudices économiques et sociaux subis depuis des décennies et l’arrêt immédiat de toute activité de la société.
Pour Fabien Nogbou, leur porte-parole, c’en est trop : « Nous dénonçons avec fermeté le non-respect de nos droits coutumiers et l’absence de transparence dans la gestion foncière de Palmafrique sur nos terres. Ils exploitent nos terres à des fins purement lucratives sans aucun bénéfice ni compensation pour nos communautés. »
Bruno Koné rattrapé par le réel
Ainsi se fissure la vitrine de la réforme foncière ivoirienne. Derrière les mots lisses et rassurants de Bruno Koné, le terrain hurle sa douleur et son indignation. Car si le ministre veut convaincre la Nation, il devra d’abord accepter une vérité qui dérange : le ver est dans le fruit, et ce fruit-là, c’est son ministère.
Sériba Koné