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[Bénin – 65e anniversaire] Les adieux de Patrice Talon entachés par une affaire d’extradition controversée

[Bénin – 65e anniversaire] Les adieux de Patrice Talon entachés par une affaire d’extradition controversée

Le pardon à sens unique de Patrice Talon, président du Benin

Alors qu’il s’adresse à la nation pour ses adieux officiels, le président Patrice Talon appelle à l’unité et au pardon. Mais un acte diplomatique controversé continue de ternir son héritage politique.

Abidjan, le 4 août 2025 (crocinfos.net) À l’occasion du 65e  anniversaire de l’indépendance du Bénin, le président de la République, Patrice Talon, a prononcé un discours empreint de solennité, marquant la fin de son dernier mandat constitutionnel. Dans une déclaration à la tonalité introspective et presque testamentaire, il a exhorté ses concitoyens à préserver les acquis démocratiques et institutionnels durement obtenus sous son magistère. « Je voudrais profiter de ce moment aussi solennel et chargé d’émotions, pour exhorter votre conscience collective et vous prier d’être les garants de la suite, de veiller à préserver ce que nous avons difficilement acquis… », a-t-il déclaré, appelant à une continuité sereine de la gouvernance républicaine.

Mais cette page qui se tourne dans la vie politique béninoise n’efface pas les interrogations que soulève une décision gouvernementale récente, perçue par de nombreux observateurs comme une entorse grave au droit international. En effet, quelques mois avant de quitter ses fonctions, Patrice Talon a validé l’extradition de Hugues Comlan Sossoukpè  un journaliste béninois réfugié depuis 2019 au Togo, mais exfiltré de la Côte d’Ivoire en 2025. Cette opération, effectuée dans des conditions encore opaques, pose de sérieuses questions au regard des conventions internationales protégeant les réfugiés et des principes fondamentaux du droit d’asile.

Le juge a retenu quatre chefs d’inculpation contre lui. Hugues Comlan Sossoukpè est mis en examen pour cyberharcèlement, incitation à la haine et à la rébellion et enfin apologie du terrorisme.

Pour défendre, ses avocats ont insisté sur son statut de réfugié :

 « C'est absolument inédit qu'un État livre un journaliste qui a un statut de réfugié dont elle ne peut ignorer qu'il est persécuté et qu'il se retrouverait en prison, qui plus est quand ce même État, la Côte d'Ivoire donc, l'avait invité officiellement en payant ses frais de transport et son hôtel dans le pays. Puis, autre circonstance quand même très aggravante, les moyens colossaux qui ont été déployés par l'État de Côte d'Ivoire pour arrêter ce journaliste comme si c'était l'un des pires criminels recherchés dans la région en utilisant ses forces de sécurité et puis en affrétant un avion privé pour pouvoir le rendre à l'État du Bénin. Enfin, on est quand même sur des circonstances qui sont totalement hallucinantes, au mépris des règles les plus élémentaires du droit international de la Convention de Genève. On ne peut évidemment pas laisser passer ça quand on défend le journalisme. »

La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, tout comme la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, proscrivent explicitement toute extradition ou retour forcé (« refoulement ») d’un réfugié vers un pays où il craint, à juste titre, pour sa liberté ou sa sécurité. L’extradition de Hugues Comlan Sossoukpè, qui s’était réfugié dans au Togo pour échapper à des poursuites jugées politiques, pourrait donc constituer une violation manifeste des engagements internationaux du Bénin.

Un pardon à sens unique

De surcroît, l’implication des autorités ivoiriennes dans cette opération ajoute une dimension diplomatique complexe à une affaire déjà sensible. Bien que les modalités exactes de cette extradition restent floues, elle a entraîné une onde de choc dans les milieux de la défense des droits humains et jeté un froid dans les relations entre Cotonou et Abidjan.

Le président Talon, dans le même discours, a déclaré vouloir être pardonné par son peuple pour les éventuelles erreurs commises durant son mandat. Mais, comme le relèvent plusieurs voix critiques, ce geste d’humilité contraste avec l’absence de clémence dont il a fait preuve à l’égard de certaines figures de la société civile et de la presse, souvent poursuivies, arrêtées ou contraintes à l’exil.

Au moment où l’histoire s’apprête à juger son héritage, il semble que cette affaire d’extradition restera l’un des stigmates les plus tenaces de son passage au sommet de l’État. Entre reconnaissance des avancées économiques et modernisation de l’administration, le legs du président sortant se trouve inévitablement assombri par ce que d’aucuns qualifient de « faute politique et morale ».

Si le ton général du discours présidentiel s’est voulu rassembleur et prospectif, la dissonance entre l’appel au pardon et les réalités de la gouvernance passée n’a pas échappé aux analystes. L’affaire d’extradition jette une ombre sur ce qui aurait pu être une sortie consensuelle et apaisée du pouvoir. Au sein des organisations de défense des droits humains, des journalistes, de la société civile des appels à des enquêtes indépendantes se multiplient pour faire toute la lumière sur les conditions ayant entouré cette extradition.

À l’aube d’une transition politique décisive pour le Bénin, la mémoire collective retiendra ainsi les avancées, mais aussi les zones d’ombre qui auront marqué l’ère Talon.


Charles Kpan