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C R O C I N F O S

[CHR d’Odienné] Trois morts et des zones d’ombre

[CHR d’Odienné] Trois morts et des zones d’ombre

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Privé d’électricité, le Centre hospitalier régional d’Odienné a enregistré trois décès. Une tragédie évitable, plongée dans un silence officiel glaçant.

Abidjan, le 5 juin 2025 (crocinfos.net)---Le dimanche 25 mai 2025, le Centre Hospitalier Régional (CHR) d’Odienné a été le théâtre d’une situation dramatique.

Selon une vidéo largement relayée sur les réseaux sociaux, « depuis une dizaine de jours, les services hospitaliers sont privés d’électricité, non pas en raison d’une panne généralisée, mais faute de carburant pour alimenter le groupe électrogène ».

Dans l’enregistrement, la voix affirme que « la ville d’Odienné bénéficie d’un approvisionnement électrique normal, tandis que le centre hospitalier demeure plongé dans l’obscurité. Patients, soignants et familles : tous subissent cette coupure brutale, indigne d’un établissement de santé ».

Et d’ajouter : « Aujourd’hui, en médecine générale, trois décès ont été enregistrés. Trois vies perdues, dans le silence et l’impuissance. Une urgence chirurgicale est également en attente, en raison de l’impossibilité d’intervenir dans des conditions sécurisées. Les médecins s’efforcent de poursuivre leur mission à la lumière des motos stationnées à l’entrée des bâtiments. »

Toujours selon cette voix, manifestement celle d’un agent de santé, il aurait fallu débourser la somme de 25 000 FCFA pour acquérir du carburant et permettre au groupe électrogène de fonctionner temporairement.

Cette même voix dénonce vigoureusement les débats stériles autour de prétendues fautes attribuées à certains agents de santé : accusations de négligence, de vol ou encore de comportements déplacés relayés sur les réseaux sociaux.

Notre collaborateur indépendant a mené une enquête sur place, interrogeant l’autorité préfectorale, le responsable régional de la santé, la Compagnie Ivoirienne d’Électricité (CIE), ainsi qu’un parent d’une des victimes présumées décédées à la suite de cette coupure.

René Famy Kouamé, préfet de la région du Kabadougou et préfet du département d’Odienné, a estimé que, selon le rapport en sa possession, les trois décès n’étaient pas directement liés à la coupure d’électricité.

Il a lu un courrier adressé par l’hôpital à la CIE, signalant une anomalie survenue sur le réseau électrique. Il y était fait mention d’une pièce défectueuse, identifiée comme le disjoncteur principal (DHP). Le directeur régional de la CIE lui aurait par ailleurs confirmé, via un message, que ses agents étaient bien intervenus.

Interrogé, le Dr Katié Coulibaly, chef du service sanitaire et directeur régional par intérim de la santé du Kabadougou, a précisé que la CIE était effectivement intervenue et avait mis en place un dispositif temporaire pour maintenir l’alimentation électrique, dans l’attente du remplacement de la pièce endommagée.

Il a reconnu que trois décès avaient été enregistrés, mais a tenu à souligner que deux d’entre eux étaient survenus avant la coupure de courant, sans toutefois fournir de preuves tangibles à l’appui de ses déclarations. Quant à la troisième victime, décédée pendant l’interruption de l’alimentation électrique, elle aurait, selon lui, déjà été dans ‘’un état critique.’’

À la CIE, notre collaborateur a tenté, en vain, de rencontrer le chef d’exploitation. Une dame, probablement issue du service clientèle, a confirmé avoir reçu un appel d’urgence. N’étant pas sur place, elle aurait immédiatement transmis le message au chef d’exploitation, lequel a dépêché un agent, un certain Bamba.

C’est avec une grande retenue, et la peur au ventre – ses supérieurs ayant refusé d’assumer la responsabilité d’une communication officielle – que ce dernier a accepté de répondre à certaines questions.

Selon ses déclarations, il serait intervenu la veille de la coupure, le 24 mai, pour maintenir le courant avant le remplacement du disjoncteur. Il affirme qu’en raison d’une baisse de tension le 25 mai, un agent hospitalier aurait, de sa propre initiative, coupé l’alimentation à partir du poteau électrique desservant le CHR, sans en informer la CIE, dans l’objectif de basculer sur le groupe électrogène… lequel, malheureusement, ne disposait pas de carburant.

''Vié'', le frère aîné de l’un des patients décédés durant la coupure, joint par téléphone, a reconnu que son frère était effectivement « dans un état très critique ». Il avait d’ailleurs envisagé son transfert à Bouaké, ne pouvant effectuer certains examens médicaux à Odienné. Le malade avait d’abord été interné à la garnison militaire, avant d’être transféré au CHR.

Il a précisé que son frère était sous assistance respiratoire, sans pouvoir indiquer dans quel service exactement : urgences, réanimation, soins intensifs ? Ces informations n’ont pu être confirmées.

Le directeur régional par intérim de la santé du Kabadougou a orienté notre collaborateur vers le directeur du CHR d’Odienné pour obtenir des précisions. Ce dernier a cependant refusé de s’exprimer, estimant ne pas avoir reçu l’autorisation de sa hiérarchie pour le faire.

Au ministère de la Santé, de l’Hygiène publique et de la Couverture maladie universelle, la situation n’est guère plus transparente. Le Dr Koffi Aka Charles, directeur de cabinet, vers qui nous avons été redirigés par la Direction de la communication, n’a donné aucune suite à nos appels ni à nos messages.

Plus inquiétant encore, malgré l’ampleur médiatique de l’affaire sur les réseaux sociaux, Pierre N’Gou Dimba, ministre ivoirien de la Santé, ne s’est toujours pas exprimé officiellement. Aucun communiqué n’a été publié pour éclaircir les circonstances du décès de trois patients au sein d’un établissement de santé régional.


Sériba Koné avec D.K. correspondant indépendant


[Quand les groupes électrogènes deviennent de simples décorations]

Les coupures de courant dans les établissements hospitaliers en Côte d’Ivoire ne relèvent malheureusement pas de cas isolés. Le Centre hospitalier régional (CHR) d’Abobo en a été victime le jeudi 6 février 2025, entre 17h et 19h30. Selon le communiqué officiel émanant du ministère de la Santé, « le groupe électrogène du Centre Hospitalier Régional d’Abobo n’a pas pu prendre le relais ».

Par chance, aucun décès n’a été enregistré durant cet incident. Mais cet épisode soulève une question essentielle : les groupes électrogènes installés dans nos hôpitaux sont-ils destinés à sauver des vies ou ne sont-ils là qu’à titre décoratif ?

Un expert en santé que nous avons consulté rappelle que « le rôle premier d’un groupe électrogène dans un centre hospitalier est de garantir l’alimentation électrique en cas de coupure. Il assure, entre autres, le bon fonctionnement des équipements vitaux, la continuité des soins critiques et des interventions chirurgicales ».

Or, au CHR d’Odienné comme dans d’autres établissements sanitaires du pays, la vétusté des installations, le défaut d’entretien et l’absence fréquente de carburant exposent les patients à des risques mortels. Le problème est si aigu que, dans certains cas, les familles sont contraintes de contribuer financièrement pour permettre le ravitaillement en carburant des ambulances censées évacuer les malades en situation critique.

Cette défaillance récurrente du système d’alimentation électrique en milieu hospitalier pose avec urgence la nécessité d’une réforme structurelle.


Sériba Koné