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[Enquête – Affaire Coulibaly Lacina vs Mutadafp] Une présumée escroquerie foncière au ministère des Finances

[Enquête – Affaire Coulibaly Lacina vs Mutadafp] Une présumée escroquerie foncière au ministère des Finances

L'un des reçu du site Songon

Un professeur ivoirien résidant au Canada accuse la mutuelle Mutadafp du ministère des Finances ‘’d’escroquerie organisée’’, sur fond de ventes fictives de terrains. Trois ans après sa souscription, aucun lot ne lui a été attribué.

Abidjan, le 18 juin 2025 (crocinfos.net) — Printemps 2021. Séduit par une offre immobilière présentée comme sérieuse, le Professeur Coulibaly Lacina, universitaire ivoirien installé au Canada, souscrit en ligne à un projet de terrains « prêts à livrer avec ACD » à Bingerville et à Songon, deux zones en pleine expansion aux abords d’Abidjan. Comme lui, plusieurs Ivoiriens de la diaspora ont vu leur rêve d’acquérir un toit s’effondrer. Portée par la Mutuelle des agents de la Direction des affaires financières et du patrimoine (Mutadafp), cette offre semblait crédible, adossée à des agents du ministère des Finances.

Trois ans plus tard, malgré le versement intégral de la somme de 11,2 millions de francs CFA, aucun terrain ne lui a été attribué. Pire encore, les explications avancées par les responsables de la mutuelle se sont multipliées sans jamais convaincre : géomètre introuvable, ACD « en cours », procédure judiciaire confuse. Le professeur dénonce aujourd’hui un système frauduleux bien rodé et réclame justice. Le ministère concerné, de son côté, gère l’affaire dans un silence pesant, alors même que Gnande Bloa Abel, président de la Mutadafp, a été interpellé et est actuellement incarcéré au Pénitencier de Prévention d’Abidjan (PPA), anciennement la Maison d'arrêt et de correction d'Abidjan (MACA).


L’anatomie d’un projet foncier truqué

Le site Internet de la Mutadafp, toujours accessible, présentait le projet comme sécurisé, sérieux et transparent. Les paiements ont été effectués de manière progressive, documentés par des reçus, accompagnés de promesses de titres fonciers (ACD), et un service client restait joignable par téléphone. Selon les pièces que nous avons pu consulter, l’intégralité des versements a été effectuée.

Lors de ses séjours en Côte d’Ivoire, les rares rencontres entre Coulibaly Lacina et les responsables de la mutuelle n’ont fait qu’entretenir l’illusion d’une livraison imminente. Gnande Bloa Abel, président de la Mutadafp, parlait d’abord d’un « léger retard administratif », puis d’une « situation juridique délicate », avant d’évoquer une « réorganisation interne du projet », selon les déclarations du plaignant. Il apparaît aujourd’hui qu’un opérateur immobilier véreux serait au cœur de cette affaire.

Contradictions, silences et lenteurs se sont enchaînés. Jusqu’à faire naître un doute majeur chez le plaignant : ces terrains existent-ils réellement ?

La plainte du professeur, déposée depuis le Canada, vise nommément six cadres de la Mutadafp :

  1. Gnande Bloa Abel, président et principal interlocuteur du plaignant
  2. N’dri Koffi Achille, son conseiller
  3. Kouadio Brou Michel, chef de projet « terrain nu »
  4. Keke Watonne, responsable du programme location-vente à Songon
  5. Bouo Daha Alain Sylvain, en charge du recouvrement
  6. Kondo Renaud, administrateur de la base de données

Tous sont cités avec leurs coordonnées complètes dans la plainte transmise au Procureur de la République. Une précision rare qui souligne la gravité des accusations : escroquerie en bande organisée et abus de confiance.

L’un des enjeux majeurs de cette affaire réside dans la possibilité d’une pluralité de victimes. Le mode opératoire décrit par Coulibaly Lacina — site Internet professionnel, paiements échelonnés, communication rassurante suivie d’un silence prolongé — évoque un schéma reproductible.

L'un des reçu de versement

Depuis la détention de Gnande Bloa Abel, le projet est à l’arrêt. Plusieurs internautes affirment avoir été « laissés sans nouvelles » par la Mutadafp après des souscriptions similaires. Les messages non modérés sur les forums et les archives Internet renforcent le sentiment d’une opération habilement maquillée.


Où sont passés les fonds collectés ?

Une analyse financière indépendante s’impose afin de retracer le circuit des fonds. S’agit-il d’un cas d’enrichissement personnel, d’un projet mal maîtrisé ou d’un système de fraude à grande échelle ?

Ni à Songon ni à Bingerville, aucun titre foncier n’a été délivré. Une vérification est en cours auprès des chefferies locales.

Le portail Internet utilisé pour promouvoir l’opération a-t-il été sciemment conçu pour induire les souscripteurs en erreur ? Ou relève-t-il d’un amateurisme opportuniste ? Là encore, les éléments numériques — captures d’écran, échanges d’e-mails — seront déterminants. Contactés, les mis en cause ont refusé de parler.

Selon un avocat au barreau d’Abidjan :

« Si les faits sont avérés, il s’agit clairement d’une infraction d’escroquerie aggravée, notamment par l’usage d’un site Internet et l’apparence d’une structure institutionnelle. Le Code pénal ivoirien est très clair sur ce point. »

L’article 402 du Code pénal ivoirien prévoit une peine d’un à cinq ans d’emprisonnement pour escroquerie, peine pouvant être alourdie en cas de bande organisée.

Ce dossier met en lumière plusieurs failles : l’encadrement des mutuelles, la régulation des projets immobiliers, et le difficile accès à la justice pour les victimes établies à l’étranger. Le plaignant, enseignant respecté sur la scène internationale, espère faire évoluer les pratiques et inciter les autorités à prendre leurs responsabilités.


Sériba Koné


À suivre dans nos prochaines parutions :


-Portraits des mis en cause

-Témoignages d’autres plaignants

-Comment les arnaques aux terrains prolifèrent en Côte d’Ivoire.

-Les conseils d’un juriste pour éviter les pièges fonciers

Vous avez été victime d’un projet similaire ? Écrivez-nous à : kone.seriba67@gmail.com