Absence de protection sociale... les risques du métier
En Côte d’Ivoire, les journalistes régionaux travaillent sans moyens, ni salaires décents, ni protection sociale. À l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, leur détresse appelle une mobilisation urgente.
Bouaké, le 2 mai 2025 (crocinfos.net)---En Côte d’Ivoire, les journalistes, en particulier ceux des régions, exercent leur métier dans des conditions extrêmement précaires. Matériel insuffisant, retards de paiement, absence de protection sociale et pression politique sont le lot quotidien de ces professionnels de l’information. À l’heure où la liberté de la presse est célébrée dans le monde, il est urgent de mettre en lumière cette réalité et d’appeler à un engagement fort des employeurs et des autorités pour garantir leur dignité et leur sécurité.
Le rôle des journalistes est fondamental dans toute démocratie : informer, enquêter, donner la parole aux citoyens. Pourtant, en Côte d’Ivoire, ces acteurs essentiels de la société vivent souvent dans la précarité la plus totale, surtout en dehors d’Abidjan. Correspondants locaux, reporters généralistes, ils couvrent tous les sujets, parfois au péril de leur sécurité et de leur bien-être. Sans salaire régulier, sans matériel adapté, et avec des piges payées au compte-gouttes, ils peinent à subvenir aux besoins de leurs familles. Cette situation compromet non seulement leur indépendance, mais aussi la qualité de l’information diffusée.
Des conditions de travail précaires
Les journalistes ivoiriens, notamment ceux basés en régions, font face à des conditions de travail difficiles et souvent dégradantes. Le manque de matériel adéquat est l’un des premiers obstacles à leur travail. Caméras, ordinateurs, moyens de communication fiables font souvent défaut, ce qui limite leur capacité à couvrir efficacement l’actualité. Selon une enquête menée en 2023 par l’Observatoire de la liberté de la presse en Afrique de l’Ouest (OLPAO), près de 65 % des journalistes régionaux déclarent ne pas disposer d’équipements suffisants pour accomplir leurs missions.
Au-delà du matériel, le problème majeur reste la rémunération. Nombreux sont les journalistes qui travaillent plusieurs mois sans percevoir de salaire fixe. Les piges, censées être une source complémentaire de revenus, sont souvent versées avec de longs retards, parfois plusieurs mois après la publication des articles. Pour certains correspondants, ces paiements tardifs sont même effectués en « monnaie de singe », c’est-à-dire des sommes dérisoires ou des promesses non tenues.
« On travaille souvent comme des fous, dans des conditions très difficiles. Mais nous vivons malheureux, incapable de subvenir aux besoins de nos familles. Nous vivons de perdiems, ça discrédite le journalisme », indiqueS. Mamadou, pigiste pour le compte d'un quotidien de la place
Cette précarité financière pousse beaucoup à cumuler plusieurs emplois, parfois en dehors du journalisme, pour assurer la survie de leur famille.
Une dépendance politique qui fragilise
La précarité financière et matérielle des journalistes ivoiriens les rend vulnérables aux pressions extérieures, notamment politiques. Dans plusieurs régions, les journalistes sont contraints de devenir des relais de communication pour les autorités locales, qu’il s’agisse de maires, députés ou ministres. Ces derniers, en finançant parfois leurs activités, deviennent de fait des « patrons » informels, quiinfluencent la ligne éditoriale et limitent la liberté de ton des journalistes.
« Nous sommes souvent obligés de jouer le rôle de communicants pour les autorités, faute de moyens. Cela nuit à notre crédibilité et à notre indépendance. Mais que faire quand on ne peut pas nourrir sa famille autrement ? » affirme Ouattara Coulibaly, Journaliste correspondant résident dans la région du Folon
Cette situation est d’autant plus préoccupante que la Côte d’Ivoire connaît une inflation galopante. Selon les données de l’Institut national de la statistique (INS), le taux d’inflation a atteint 7,5 % en 2024, ce qui accroît encore les difficultés financières des journalistes.
Absence de protection sociale... les risques du métier
Les journalistes correspondant ne bénéficient d’aucune couverture sociale ni assurance santé. En cas de maladie, d’accident ou d’agression, ils doivent assumer seuls les frais médicaux et les conséquences. Or, le métier de journaliste comporte des risques, notamment pour ceux qui enquêtent sur des sujets sensibles ou qui travaillent dans des zones à tensions.
Malgré les difficultés, ils sont à l'affût de l'information vraie
Cette absence de protection est dénoncée par l’Union des journalistes de Bouaké (UJB), qui appelle à la mise en place d’un régime spécifique de sécurité sociale pour les professionnels des médias. « Il est inadmissible que ceux qui informent soient abandonnés à leur sort. Que les patrons de presse et l'État de Côte d'Ivoire prennent leurs responsabilités pour la sécurité des journalistes dans leur ensemble», indique Soro Korona, président de l'UJB.
Les diplômés mieux armés, mais une minorité
Malgré ces difficultés, certains journalistes ivoiriens parviennent à tirer leur épingle du jeu. Ceux qui bénéficient d’une formation solide et de diplômes reconnus sont plus sollicités par les médias nationaux et internationaux. Ils participent à des formations de haut niveau, ce qui leur permet d’améliorer leurs compétences et d’accéder à des opportunités plus stables.
Cependant, ces professionnels restent minoritaires. La majorité des journalistes en région, souvent autodidactes ou peu qualifiés, continuent de lutter pour survivre dans un environnement hostile.
Un appel urgent à la responsabilité
À l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, du 03 Mai 2025, il est impératif que les employeurs prennent leurs responsabilités. Les patrons de presse doivent respecter leurs engagements financiers, fournir un matériel adéquat et garantir la sécurité physique et morale de leurs collaborateurs. Par ailleurs, l’État ivoirien doit veiller au respect des normes internationales en matière de liberté de la presse et assurer une protection effective des journalistes, notamment face aux menaces et aux violences.
La liberté de la presse ne peut exister sans des conditions de travail dignes et une indépendance garantie. Protéger les journalistes, c’est protéger la démocratie et le droit des citoyens à une information libre et pluraliste.
François M'BRA II, Correspondant Région de Gbêkê