A titre d'illustration
Le CNDH a recensé 4481 grossesses en milieu scolaire entre septembre 2024 et juin 2025, soit une hausse de 8,31 %. Un fléau national qui exige des solutions concrètes et une gouvernance transparente. Analyse…
Abidjan, le 6 juillet 2025 (crocinfos.net)---Le 26 juin 2025, le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) a révélé des chiffres alarmants sur les grossesses en cours de scolarité en Côte d’Ivoire. Selon ses données couvrant la période de septembre 2024 à juin 2025, 4481 cas ont été enregistrés, marquant une hausse de 8,31 % par rapport à l’année scolaire précédente (2023-2024) qui avait recensé 4137 cas.
L’enquête menée par l’institution identifie les régions les plus et les moins touchées par ce fléau qui continue d’entraver le droit fondamental à l’éducation des jeunes filles. Face à cette situation, Mme Namizata Sangaré, présidente du CNDH, a exhorté l’ensemble des acteurs concernés à agir :
« Préoccupé par cette situation qui entrave gravement le droit à l'éducation des jeunes filles, le CNDH invite les parents d'élèves à s'impliquer davantage dans l'encadrement et le suivi de leurs enfants ; les autorités compétentes à poursuivre leurs efforts pour réduire les cas de grossesses en cours de scolarité ; et la société civile à intensifier les actions de sensibilisation auprès des élèves et de leurs parents. »
Cependant, la publication de ce rapport a suscité une réaction immédiate du ministère de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation (MENA). Le 2 juillet 2025, la ministre, Professeure Mariatou Koné, a convoqué en urgence Mme Namizata Sangaré et ses collaborateurs pour une séance de travail visant à « mieux appréhender la méthodologie et les chiffres » contenus dans le rapport.
Derrière cette invitation précipitée se profilait en réalité la volonté de préparer le Conseil des ministres à contester les statistiques rendues publiques par le CNDH – une institution pourtant reconnue ces dernières décennies pour la qualité et la rigueur de ses enquêtes.
En effet, le 30 mai 2025, conformément à son mandat de promotion, protection et défense des droits humains, le CNDH avait adressé un courrier à la ministre de l’Éducation nationale pour lui transmettre, en amont, les résultats provisoires de cette enquête menée comme l’institution le fait depuis 2021 dans les 31 régions et les district autonome :
« Ainsi, pour les deux premiers trimestres de l’année scolaire 2024-2025, le Conseil a dénombré quatre mille cent vingt-six (4126) cas de grossesse. Aussi, avant de procéder à la publication des résultats de l’enquête 2024-2025, j’ai l’honneur de vous tenir ci-joint les résultats de ladite enquête. Je vous prie d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de ma haute considération. »
La ministre, pourtant informée à deux reprises, a préféré réagir publiquement plutôt que de collaborer institutionnellement. Ce choix interroge au regard de la loi n°2013-867 du 23 décembre 2013 relative à l’accès à l’information d’intérêt public, qui stipule en son article 4 :
« Les organismes publics sont tenus de diffuser au public les informations et les documents publics qu’ils détiennent. »
L’article 6 de cette même loi précise que les documents communicables incluent rapports, études, statistiques et notes de service. En clair, les données que le MENA affirme « précises » – issues de sa Direction des Études, des Stratégies, de la Planification et des Statistiques (DESPS) – devraient être consultables en ligne. Or, sont-elles effectivement accessibles sur le site officiel du MENA comme l’exige la législation ?
Lors du Conseil des ministres du 3 juillet 2025, Amadou Coulibaly, porte-parole du gouvernement, a soutenu la ministre face aux journalistes, sans pour autant répondre à cette question essentielle : où sont publiées ces données ?
Le président de la République, Alassane Ouattara, œuvre, à travers la publication des documents communicables par les organismes publics, à informer son peuple et à instaurer la transparence dans la gouvernance des actions de l’État, à l’instar du CNDH. Cette institution conduite par Mme Namizata Sangaré et son Conseil sont dans une logique à saluer et encourager.
Un village de plus de 4000 grossesses scolaires
Les grossesses précoces en milieu scolaire ne sont pas un simple chiffre. Plus de 4000 cas, c’est l’équivalent d’un grand village, que l’État pourrait électrifier et doter en infrastructures essentielles. Le combat contre ce fléau exige des solutions concrètes et collectives, au-delà des chiffres présentés par le MENA pour rassurer des bailleurs tels que l’UNFPA, le Millennium Challenge Corporation (MCC) ou la Banque mondiale.
Les parents d’élèves, les ONG et la société civile doivent être accompagnés des médias pour des enquêtes citoyennes et de grands reportages. Mais aussi, d’autres ministères doivent être mobilisés : celui de la Justice et des Droits de l’Homme pour punir les auteurs en cas de faute, l’Intérieur via préfets et sous-préfets, la Femme, la Famille et l’Enfant pour la sensibilisation, la Santé pour des rapports détaillés. Ce n’est qu’en impliquant toutes les parties prenantes, jusqu’au citoyen des hameaux les plus reculés, que l’impact sera perceptible.
Un droit de regard maternel attendu
Depuis des décennies, Mme Dominique Ouattara, Première Dame de Côte d’Ivoire, œuvre à travers sa fondation, Children of Africa, pour la scolarisation des enfants en distribuant chaque année des milliers de kits scolaires. Ces actions louables n’ont pas pour objectif de voir émerger un « village » de jeunes filles enceintes en milieu scolaire, phénomène qui brise leurs rêves d’avenir dès le bas âge. Son droit de regard de mère est aujourd’hui interpellé face à ce problème crucial.
Le ministère de l’Éducation nationale vient de démontrer ses limites dans la lutte contre ce drame social, et il apparaît clairement que la solution ne peut être exclusivement ministérielle.
Face aux grossesses en milieu scolaire, l’heure n’est pas aux querelles de chiffres. Il s’agit d’une crise nationale qui appelle des solutions intégrées, une gouvernance transparente et un engagement collectif sincère pour préserver le rêve de milliers de jeunes filles ivoiriennes.
Sériba Koné
[Les cyberactivistes, pompiers sans eau]
Face à la polémique, la réponse institutionnelle s’est limitée aux cyberactivistes acquis à la cause ministérielle, qui ont envahi la toile de propos méprisants. Ignorant la réalité des chiffres et des souffrances qu’ils représentent, ces derniers n’ont fait qu’aggraver la situation par leurs interventions intempestives.
Sériba K.
[Une loi sous-utilisée]
La loi n°2013-867 impose aux organismes publics de disposer de sites internet régulièrement alimentés en données communicables. Combien la respectent réellement ? Il suffit d’une simple visite sur ces sites pour constater leur carence. Pourtant, ces mêmes institutions sont promptes à chanter les louanges du président Alassane Ouattara dans toutes leurs communications. Pourquoi, dès lors, ne pas appliquer la loi qu’il a lui-même promulguée ?
S.K.