À Washington, Tidjane Thiam – ce neveu d'Houphouët qui promène dans les salons du pouvoir américain
Évitant une confrontation diplomatique incertaine, Alassane Ouattara renonce à la tribune onusienne. Cette absence inattendue illustre l’affaiblissement de sa légitimité internationale, tandis que l’opposant Tidjane Thiam capte l’attention des décideurs américains et rebat les cartes politiques ivoiriennes.
Par Parfait Kouacou, PhD
Institut de Recherche de la Diaspora Ivoirienne (IRDI)
Il y a quelque chose de profondément théâtral dans cette histoire d'un président qui devait monter à la tribune des Nations unies et qui, finalement, préféra rester chez lui. Comme si le président Alassane Ouattara, après tant d'années passées à arpenter les couloirs du pouvoir international, avait soudain découvert que la diplomatie obéit à ses propres lois – impétueuses et souvent cruelles pour qui s'y aventure sans légitimité domestique.
L'annulation officielle parle de « pressantes obligations gouvernementales ». Formule élégante, certes, mais qui ne trompe personne dans les chancelleries. Car enfin, depuis quand un chef d'État renonce-t-il à parler devant l'assemblée du monde pour des questions d'agenda domestique ? Il faut y voir plutôt l'art consommé de la retraite stratégique – cette sagesse ancienne qui consiste à éviter les batailles qu'on ne peut gagner.
Et la bataille, il est vrai, s'annonçait ardue. À Washington, Tidjane Thiam – ce neveu d'Houphouët qui promène dans les salons du pouvoir américain l'élégance d'un banquier international doublée de l'aura d'un opposant – multipliait les rencontres avec tout ce que l'Amérique compte de décideurs (en politique, affaires et société civile). Spectacle fascinant que celui d'un simple candidat à l'opposition qui ouvre plus facilement les portes que le président en exercice ! C'est-à-dire si les équilibres se sont déplacés, et avec quelle vitesse.
Cette inversion des rôles révèle une vérité que les régimes africains peinent souvent à saisir : la crédibilité internationale ne se décrète pas, elle se gagne. Et parfois, elle se perd. Mon récent article faisant suite aux décisions mal argumentées du Conseil constitutionnel ne dit pas autre chose. Le président Ouattara ne serait-il pas présent à l’ONU demain si tous les candidats étaient en lice ? Les tentatives du pouvoir ivoirien pour minimiser la portée de la tournée américaine de Thiam rappellent ces stratégies de communication où l'on brandit de vieilles photographies diplomatiques comme autant de trophées d'un temps révolu. Exercice touchant, mais vain : en politique internationale comme ailleurs, c'est le présent qui compte, et l'avenir qui obsède.
Un pouvoir qui ferme l'espace démocratique perd d'abord son charisme, puis sa dimension traditionnelle, et finit par ébranler sa propre légalité—voir celui qu’on croyait être un lion se battre avec des poules, là où existent d’autres lions enlevés toute crédibilité.
L'affaire révèle également les nouvelles règles du jeu avec Paris. Car contrairement à ce que suggère la narration officielle abidjanaise, l'initiative onusienne ne venait pas de l'Élysée mais bien du palais présidentiel ivoirien, qui espérait capitaliser sur la question palestinienne pour regagner en visibilité. Calcul hasardeux : la France de Macron, fragilisée domestiquement, et empêtrée dans ses propres contradictions proche-orientales et soucieuse de ménager ses équilibres atlantiques, n'avait ni l'envie ni les moyens de porter un partenaire devenu encombrant. En diplomatie comme en amitié, les soutiens se raréfient quand les ennuis s'accumulent.
Il faut voir dans cet épisode l'illustration parfaite de ce que Max Weber appelait les trois sources de légitimité politique. Un pouvoir qui ferme l'espace démocratique perd d'abord son charisme, puis sa dimension traditionnelle, et finit par ébranler sa propre légalité—voir celui qu’on croyait être un lion se battre avec des poules, là où existent d’autres lions enlevés toute crédibilité. L'ironie est savoureuse : un régime qui était arrivé au pouvoir en invoquant la « légitimité internationale » se trouve aujourd'hui incapable d'honorer ses engagements diplomatiques les plus élémentaires.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit : d'un pouvoir qui s'enlise dans sa propre logique d'exclusion. Gbagbo écarté, Thiam banni, Affi N'Guessan marginalisé – la liste s'allonge des figures politiques repoussées aux marges du jeu démocratique. Et comme toujours en pareil cas, ces exclusions produisent leurs propres effets : elles transforment les opposants en symboles et accélèrent l'isolement international de celui qui les prononce.
Il est vrai qu'Abidjan peut encore se consoler en regardant vers Yaoundé ou Brazzaville, où des régimes autoritaires continuent de prospérer sous le regard bienveillant de l'Occident. Mais la comparaison a ses limites : a-t-on jamais vu des monuments de la trempe de Laurent Gbagbo (à l’interne) et Tidjane Thiam (à l’international) s’allier en politique au Cameroun ou au Congo ? Le cas sénégalais l'a récemment démontré : c'est souvent la stature des adversaires qui détermine l'issue du combat.
Aujourd'hui, à l'exception des obligations protocolaires, quel dirigeant occidental de premier plan accepte encore de s'afficher publiquement aux côtés de M. Ouattara ? Même ses anciens soutiens anticipent déjà les prochains équilibres. C'est la mise en pratique de ce que les politologues appellent la « théorie des fenêtres » : quand le spectre politique se déplace, les alliances se réajustent mécaniquement.
L'histoire, on le sait, a ses propres lois. Et l'une d'elles veut que ce qui monte finisse toujours par redescendre. La seule question qui demeure concerne la nature de l'atterrissage : sera-t-il en douceur, ou plus... abrupt ? Dans les chancelleries, on commence à parier. Et curieusement, les cotes ne favorisent plus le sortant. D’où l’annulation de l’intervention à New York.